Trois mois après le début de la crise, nous commençons à disposer du recul suffisant pour tirer les premières leçons sur notre organisation achats.
Alors que nous continuons de traverser la tempête du COVID19 qui a bouleversé nos entreprises et nos comportements, tant personnels que professionnels (télétravail, distanciation physique, tendance du « fait maison », attrait pour les circuits courts et le « Made in France »), nous allons analyser ici comment l’organisation achats s’est adaptée pour répondre efficacement à nos nouveaux besoins et quelles sont les améliorations mises en lumière par ce bouleversement : L’organisation achats dans la tourmente du COVID19, retour d’expérience.
Le calme avant l’incertitude
Nous sommes en janvier 2020. Les négociations des achats sont pour la plupart actées. Acheteurs et contrôleurs de gestion s’activent sur la clôture du reporting Q4 2019, certains commencent même à esquisser le futur budget. Le coronavirus occupe une place de second rang dans les médias. Nombre d’entre nous avancent leurs couvertures sur les marchés à terme, affinent leurs prévisions de consommation, relancent les projets après la trêve des négociations et initient de nouveaux chantiers.
Le service achats tourne à plein régime. Le calendrier Outlook déborde, les salles de réunion disponibles sont rares et chacun œuvre pour atteindre les objectifs fixés : réduction des coûts, développement de partenariats, avancement dans les projets et identifications de nouvelles opportunités améliorant le triptyque coût/qualité/délai.
Les équipes sont très chargées, les dashboard toujours en phase de projet et certains apprécieraient le renfort d’un acheteur ou d’un assistant supplémentaire… Cependant le système est bien huilé, le service tourne et ces postes/dépenses ne sont pas budgétés.
Confinement : le plongeon dans l’inconnu
Alors que le télétravail devient la règle et que le chômage partiel touche nos collègues des services marketing, R&D ou encore de comptabilité, le grain de sable tant redouté des statistiques vient enrayer la machine de production en mars. Les prévisions de consommation sont toutes erronées, les usines diminuent leurs cadences, les stocks sont pleins alors que les commandes s’annulent en chaîne. Très vite les fournisseurs s’inquiètent de la réduction des consommations et suivent d’encore plus près leurs créances. La consigne raisonne dans tous les services achats : être rassurant.
Les directions sonnent le branle-bas ! Quels sont les fournisseurs impactés ? Pourront-ils encore nous livrer ? Jusqu’à quand ? Peut-on décaler cette liste de livraisons ? Qu’en est-il de nos couvertures ? Nos matières premières peuvent-elles être utilisées uniformément sur chacun de nos sites de production ? La communication de crise et la course à la donnée deviennent le quotidien des acheteurs placés sous le feu des projecteurs.
Mais alors que nos services sont sur le pied de guerre, que toutes les catégories d’achats directs sont devenues importantes (sans quoi l’usine ne peut produire) et que l’agilité devient une nécessité, les process et la longueur hiérarchique se font lourdement ressentir.
« Comment être réactif opérationnellement quand une validation venant du board est nécessaire pour avancer sur un sujet ? Ce n’est pas rare de devoir attendre une semaine voire deux pour l’obtenir. Quand on évolue sur les marchés boursiers, ça n’a pas de sens ! » se confie un acheteur d’un grand groupe industriel.
Dans la fraicheur des négociations annuelles, la défaveur du calendrier
Alors que les acheteurs appellent leurs fournisseurs pour demander une flexibilité sans précédent, allant du simple report de commande à son annulation pure et simple, une autre problématique se présente. En effet, après de longues négociations tarifaires tirées vers le bas, alors que la pression exercée sur nos fournisseurs est encore palpable et que l’épée de Damoclès d’un switch de fournisseur est dans les mémoires, nous avons besoin d’eux. Nous nous plions en quatre pour leur expliquer que nous sommes des partenaires de longue date et que notre relation est telle que nous devons être privilégié. Mais la roue a tourné. La balle est dans le camp du vendeur, l’acheteur ne peut plus se retourner et l’offre, limitée par des réductions de production importantes, est bien inférieur à la demande. La négociation semble mal partie.
Nous savons que nous sommes en compétitions avec nos confrères sur l’approvisionnement mais pourquoi ne sommes-nous pas servis en priorité ? Et si la politique achats que nous avions suivie accordait plus d’importance à la valeur créée par le produit et au service apporté qu’à son simple coût sec ? Et si justement nous avions entrepris des négociations conduisant à un prix plus « équilibré » pour faire valoir économiquement notre position de partenaire ?
Agilité et création de valeur, clefs de réussite d’une organisation achats performante
En temps de crise, les forces et faiblesses de nos organisations sont mises en exergue.
A l’instar de la relation entre les centres de soin et les ARS (agences régionales de santé NDLR) qui a freiné la réponse opérationnelle à la crise (voir l’extrait du JT de TF1 du 14 mai 2020 « l’administration est-elle un frein à l’efficacité ? »), les process de validation et de prise de décision ont alourdi le travail des services achats et ont freiné considérablement la réactivité opérationnelle.
En effet, bon nombre de ces décisions ont dû être approuvées par le Top Management (C-Level), déjà bien occupé à gérer la crise RH, financière et commerciale, tout en passant par un mille-feuille de valideurs intermédiaires. Cette expérience nous rappelle l’importance de l’agilité en entreprise comme au sein de notre organisation achats. Pour faciliter cette communication et cette prise de décision il apparaît primordial de donner plus de champs de manœuvre aux décisionnaires achats tout en accordant une place pour la direction achats à la table du comité de direction (ce qui est encore trop rare aujourd’hui).
L’acheteur, un « sapeur-pompier » de l’approvisionnement ?
Combien de cadres achats reprochent à leur organisation d’être des « pompiers de l’approvisionnement » ? Éteindre des départs de feux, courir après le temps et la donnée, est-ce une marque d’efficience ? Je ne crois pas. Tout comme je regrette que de nombreux services achats ne soient pas aussi organisés que ces services d’incendies :
- La prévention tout d’abord. S’il n’y a pas de feu… Il n’y a rien à éteindre ! Imaginez, un service achats dans lequel l’activité en temps de crise est la même qu’en temps normal. En temps de crise, ce KPI est le plus à même de mettre en lumière les services achats performants. Mais cette prévention à un coût. Une dépense qui est néanmoins justifiée et utile, également en temps « normal ». Uniformiser les cahiers des charges, sécuriser l’approvisionnement par un Dual Sourcing, réduire le nombre d’intermédiaires, challenger les sources d’approvisionnement de ses fournisseurs et consacrer suffisamment de temps aux audits et visites de sites. Tant d’actions simples et évidentes que les acheteurs n’ont plus le temps de faire ou que le management repousse à demain, n’étant pas une priorité R&D et Marketing.
- Le rapport au temps ensuite. Lorsqu’un feu détruit des biens et met en péril des vies humaines, les sapeurs-pompiers arrivent à vive allure pour se saisir du dossier. Mais une fois sur place, il règne un calme olympien. Une organisation parfaitement rodée prend le dessus sur le stress, la course et la désorganisation. Comment font-ils ? Ils sont simplement préparés et entrainés. Toutes ces actions sont élaborées longuement en avance et répétées lors d’exercices de mise en situation. Ils savent qu’à l’impossible nul n’est tenu et que les process de gestion d’urgence qu’ils connaissent ont été réfléchis et organisés à tête reposée, bien en amont de la crise. Ces process intègrent notamment le « coup d’après », cette vision, cette anticipation qui permettra justement à la crise d’être rapidement sous contrôle, limitant ainsi les dégâts directs et indirects.
- L’agilité enfin. Le process est un outil, un cadre général qui s’adapte à une grande majorité de situations mais si l’intervention le nécessite, le manager de terrain des sapeurs-pompiers s’inspirera de ce cadre pour donner des directives efficaces et adaptée à la situation. Il ne se limitera pas à celui-ci si cela permet de sauver des vies, tel un bon père de famille prenant des décisions qu’il estime justes et nécessaires. Son autonomie et la responsabilité qu’il porte ne l’empêche pas pour autant de référer à sa hiérarchie (son Top Management) mais il n’attend aucunement la validation de son directeur pour agir. La crise est là et son meilleur remède est l’agilité (et non la lourdeur d’une décision à quatre étages). Un process qui freine la création de valeur et que chacun s’excède à contourner doit être transformé.
Mais alors que retenir de ce retour d’expérience ? Quelles modifications effectuer pour faire gagner en efficience notre organisation achats ?
Un avant/après COVID19 pour l’organisation des achats ?
Tout n’est pas simple, oui, particulièrement dans un monde de l’entreprise mondialisé et interconnecté. Les enjeux et les incertitudes que ces situations exceptionnelles crées sont colossaux. Malheureusement, la crise que nous connaissons ne sera probablement pas la dernière attaque externe qui mettra nos organisations à rude épreuve.
Nous devons capitaliser sur cette expérience qui nous a été imposée pour poursuivre l’amélioration de notre organisation achats. Malgré tout, nous pouvons remarquer beaucoup de notes positives dans la gestion de cette crise. Chacun des acteurs a donné le meilleur de soi-même pour subvenir au besoin d’informations, parfois sans outils adaptés, et avec des délais toujours plus courts. Les équipes de gestion de crise ont fait ce qu’elles ont pu, sans compter leurs heures, dans un contexte d’incertitude inédit. Nous avons vu une vraie solidarité en amont comme en aval, où chaque acteur a fait preuve de patience et de compréhension, où les filières se sont rapprochées pour mieux s’entre-aider. La coopétition a parfois remplacé la compétition et a boosté la créativité de nos entreprises.
Inspirons-nous de ces expériences pour faire de notre organisation achats celle qui absorbera le mieux les coups de la prochaine crise, celle que le COVID19 aura fait grandir en agilité :
- L’intérêt (et l’importance !) de la place du CPO en comité de direction n’est plus à démontrer. Les services achats qui étaient hier des services supports ou des « masters services approvisionnement » ne le sont plus aujourd’hui. La nécessité d’une communication rapide et d’une agilité dans la prise de décision a été une nouvelle fois prouvée lors de cette crise.
- Un service achats est avant tout une équipe d’hommes et de femmes qualifiés, experts dans leur domaine. L’importance stratégique pour l’entreprise d’un service achat mature et justement dimensionné se ressent sur le résultat. Investissez dans un centre de profit et votre performance n’en sera que renforcée !
- Faire confiance à ses experts et accorder une juste autonomie aux acteurs de la chaîne de valeur. Le contrôle est nécessaire mais il ne doit en aucun cas être destructeur de valeur. Les process doivent être agiles et adaptés. Ce n’est pas aux acteurs d’adapter leurs problématiques aux process. Pour répondre aux cas exceptionnels, certains process dédiés aux temps de crises doivent être conçus, impliquant chaque services clefs afin de gagner en agilité. De plus, une équipe de gestion de crise représentative de chacun de ces services doit être constituée pour permettre une vue globale des situations de terrain (sans filtre, sans perte ni déformation de l’information) et permettre ainsi de prendre des décisions opérationnelles systémiques.
- Un des rôles de l’acheteur est de contrôler la dépense pour maximiser la marge et gagner en compétitivité. C’est un fait. Néanmoins le positionnement de Cost Killeur devrait être transformé par une approche de business partner, voyant l’achat dans sa globalité et non plus uniquement via le prisme du prix d’achat. Ce positionnement est demandé par bon nombre de directions achats mais la réalité économique et les objectifs financiers les rattrapent bien vite. Adopter une vision business partner s’est aussi renforcer les partenariats amonts, se garantir un meilleur service et payer le juste prix du produit et/ou service acheté : « If you pay peanuts, you get monkeys ».
- Nous devons être plus directif quant à la sécurisation de nos approvisionnements. La plupart des stratégies achats recommandent déjà le dual sourcing et/ou l’uniformisation des achats. Malheureusement, ces stratégies se confrontent trop souvent à un manque de ressource R&D pour déployer le projet, à une dépriorisation ou simplement à un trop fréquent « on a toujours fait comme ça ». Oui, déployer une telle stratégie a un coût direct. Mais la solidité d’une entreprise préparée et aux approvisionnements sécurisés laisse rêveur les réfractaires en cas de crise, COVID ou pas.
Prenons du recul, apprenons à défaire pour mieux refaire !
La nature même d’une société de conseil en achats comme Buying & Solutions est de proposer rapidement, et pour des durées variables, l’expert métier autonome et polyvalent qui répond aux besoins de son client, le tout à un coût maîtrisé.
De plus, le recul et l‘expérience du consultant qui intégrera vos équipes pourra également être un atout pour rechallenger certaines habitudes ou process inchangés et manquant d’agilité. Vous avez dit « création de valeur » ? Je suis bien d’accord !
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Pour explorer d’autres avis et analyses :
- l’ADRA, la Médiation des Entreprises et BuyYourWay publient une étude sur les impacts présents & futurs de la Covid-19 sur les chaînes d’approvisionnement & les pratiques d’achats.
- Ohanes Missirilian, coach et consultant en achats chez ByAction Learning s’interroge sur la place du service achats après la Covid19
- Manuel CHATAIN et Michel SAMAHA s’appuient sur les travaux du Professeur Yossi Sheffi (MIT) pour évoquer la résilience de la supply chain.