Achats et réchauffement climatique : anticiper pour mieux s’adapter

Note de l’auteur : Cet article « Achats & Réchauffement climatique » s’appuie sur des constats scientifiques, que nous avons volontairement vulgarisés, et tente de se projeter dans un future relativement proche. Malgré tout le soin apporté à sa rédaction et à sa préparation, cet article n’a pas été réalisé au moyen d’une boule de cristal. Nous présentons ici les hypothèses les plus réalistes (sources en fin d’article).

Qui d’entre nous n’a jamais entendu un commercial justifier une hausse de prix en avançant « une mauvaise récolte » dû à tel évènement météorologique, tel ravageur ou telle maladie ? Quand il s’agit de comprendre le prix d’un produit fini, semi-fini ou d’une matière première, les acheteurs procèdent tous à la décomposition de ce prix : le fameux « Cost Breakdown ». Puis, dans un second temps, ils creusent chaque inducteur de coût pour comprendre son impact sur le prix final. En suivant cette logique, tout nous ramène à une somme de produits bruts, qu’ils soient d’origine agricole ou minéral. En 2021, le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) nous alerte une nouvelle fois sur le dérèglement climatique en cours. Mais quelles pourraient être ses conséquences sur nos activités ? Découvrons ensemble le lien étroit entre achats et réchauffement climatique

Iceberg illustrant le lien entre achats et réchauffement climatique

Achats et réchauffement climatique : l’impact sur les matières premières

 

Comme nous l’avons vu dans notre article précédent intitulé « Acheteurs, quelles matières premières agricoles se cachent dans vos produits ? », les matières premières agricoles sont utilisées dans bon nombre de productions. Bien loin de nos assiettes, ces produits font partie de notre quotidien et la révolution verte qui caractérise le 21ᵉ siècle va continuer d’intensifier leurs usages insoupçonnés.

Or une forte modification des rendements agricoles est une des conséquences du dérèglement climatique présentées par le GIEC. Cette baisse des rendements impactera donc les prix d’achats et touchera ainsi de nombreux acheteurs de matières premières, bien au-delà de l’alimentaire.

stratégie achat

Dessaisonalité et gel tardif

Nombreux sont les agriculteurs qui ne gardent pas avril 2021 dans leur cœur. Après un hiver relativement doux, le printemps semble arriver en avance. Les plantes sortent de leur dormance et les bourgeons, bien gonflés, sont là. La récolte s’annonce bonne.

C’était sans compter l’arrivée d’un épisode de gel tardif. Malgré les efforts des arboriculteurs, maraîchers et viticulteurs pour limiter le gel des cultures (braseros, bougies, brasseurs d’air, pulvérisations d’eau) le mal est fait et les pertes sont immenses.

Sur les grandes cultures, et notamment les céréales à paille (blé, orge, épeautre…), les dégâts ont été plus hétérogènes et moins destructeurs. Cet épisode est exceptionnel, mais devrait malheureusement devenir plus fréquent pour deux raisons, rendant bien palpable lien entre achats et réchauffement climatique.

Tout d’abord, le réchauffement de nos hivers et de nos printemps.

Comme nous pouvons le voir dans les deux graphiques de Météo France, la température moyenne de nos hivers et de nos printemps tant à se réchauffer.

graphique des moyennes de température en hiver en France montrant le lien entre achats et réchauffement climatique
graphique des moyennes de température au printemps en France illustrant le lien entre achats et réchauffement climatique

Selon Météo France, la température moyenne en métropole de la dernière décennie a déjà augmenté de 0,77 °C par rapport à la période 1961-1990.  Et cette tendance ne s’inversera pas tout de suite.

Alors que les émissions anthropiques de gaz à effet de serre (GES) n’ont cessé d’augmenter depuis la révolution industrielle du 19ᵉ siècle, aucun scénario du GIEC ne prévoit de retour à la normale historique.

Le plus optimiste des scénarios nous conduirait à une élévation de la température moyenne française autour du degré. Mais cela semble difficilement atteignable. Dans le même temps, le pire des scénario (RCP8.5), qui s’avère être la simple continuité des émissions actuelles, conduirait à un réchauffement moyen en métropole de +4,5°C.

Il faut donc comprendre que ces niveaux de température moyenne seront notre nouvelle normalité. N’en déplaise à nos hivers et nos printemps, la douceur sera la règle et « l’historique » l’exception.

Mais plus doux ne veut pas dire une température toujours positive.

 

En effet, une des conséquences du réchauffement climatique sur les achats concerne les flux d’air dans les hautes latitudes. La modification du vortex polaire associée à un ralentissement du jet stream peut créer une sorte d’ondulation des courants d’air froid. Bien que peu fréquentes, ces vagues de froid n’en seront pas moins intenses, comme ont pu en faire les frais nos amis américains en février 2021 (−25,6 °C à Oklahoma City, la température la plus froide depuis 1899 et la deuxième plus froide jamais enregistrée).

Les scientifiques de World Weather Attribution estiment que « dans les décennies à venir, la probabilité de gelées survenant pendant la période de croissance des cultures devrait encore augmenter de 40 à 60 %, si le réchauffement de la planète se limite à 2 °C ». Face à des cultures plus précoces, ces gels tardifs feront donc plus de dégâts.

Pour limiter l’impact sur nos cultures, le secteur pourra s’adapter en partie, notamment en modifiant les dates de semis. Néanmoins, il est évident que toutes les cultures ne pourront pas en faire autant, comme l’arboriculture pour ne citer qu’elle.

Des orages plus intenses

 

Non Obélix, le ciel ne va pas nous tomber sur la tête. Pour ce qui est de la grêle, c’est une autre question.

Le GIEC l’assure : le différentiel de température entre le sol et l’atmosphère s’intensifiant, les mouvements convectifs responsables de la formation des nuages orageux sont plus puissants. À la clef, des phénomènes extrêmes plus intenses apportant grêle, fortes bourrasques et pluie violente.

Les impacts de ce type d’évènement sur nos cultures sont très variables : égrenage, coupure d’épis, verse (culture couchée) ou hachage des feuilles.

Ces phénomènes étant bien souvent très localisés, les conséquences sur le rendement devraient se limiter à une faible échelle. L’impact sur les prix des matières devraient être assez faible, mais les agriculteurs concernés devraient, eux, en payer le prix fort.

L’eau qui ne mouille pas, vraiment ?

 

L’eau est la source de toute culture. Bonne nouvelle pour nos amies les plantes, les différents scénarios du GIEC projettent une hausse hétérogène des précipitations moyenne en France entre +2 % et +6 % selon les horizons et scénarios. Une certaine saisonnalité se dessine néanmoins, les pluies étant plus nombreuses l’hiver (autour des +10 %) que l’été (entre -10% et -20 %).

En parallèle, les épisodes caniculaires et de sècheresses augmenteraient de 30 à 50 % dans les scénarios allant du RCP4.5 au 8.5 et seraient plus longs. Météo France constate dès aujourd’hui une augmentation des surfaces métropolitaines touchées par ce type d’événement.

graphique des surface touchée par la sécheresse en France en pourcentage, illustrant le lien entre achats et réchauffement climatique

Pour autant, les sols devraient dans l’ensemble perdre en humidité.

 

En effet, les pluies ne seront pas réparties dans le temps, mais plus intenses sur de courtes périodes. L’eau ainsi reçue ne pénétrera pas le sol efficacement. Alors que l’agroforesterie est aujourd’hui l’exception, le ruissèlement de ces eaux devrait même aggraver l’érosion des sols et les phénomènes de battance, rendant les sols « étanches ».

De plus, les hausses de températures favoriseront l’évapotranspiration des plantes et, par la même occasion, l’assèchement des sols. Ce qui complique les choses lorsque l’on veut optimiser ses achats en période de réchauffement climatique. 

L’indice de sécheresse des sols de l’outil DRIAS montre que les sols souffriront du manque d’eau, même dans un scénario conservateur.

Ces « coups de chauds » sont défavorables au bon remplissage des grains et au développement de la plante. Ces stress hydriques limitent la productivité de la culture et augmentent le risque de stérilité de la plante.

L’exemple des fortes chaleurs connues au Canada en 2021 parle de lui-même. Alors que le pays représente les 2/3 du commerce mondial de blé dur, sa production a chutée de plus de 30% par rapport à la moyenne des cinq dernières années. Les acheteurs de pâtes et semoules peuvent témoigner des conséquences tarifaires qui ont suivi, mettant une fois encore en avant le lien entre achats et réchauffement climatique.

Irriguer pour maintenir le rendement agricole

 

Historiquement, la France est un pays riche en eau, ce qui lui a permis d’exploiter majoritairement des cultures « pluviales ». Dit autrement, les précipitations naturelles (et gratuites) rendaient l’usage de l’irrigation non nécessaire à la productivité. Les épisodes de sècheresses peuvent donc avoir d’importantes conséquences, comme nous l’avons connu en 2003 où les rendements des principales cultures ont chuté de 20 à 30 % en moyenne.

« Le climat méditerranéen recouvre aujourd’hui 15 % du territoire, cette proportion pourrait monter à 50 % à la fin du siècle. » The Shift Project, 2021

Ces stress hydriques, impactant la productivité des cultures, ne sont pas de bon augure pour les prix des matières. Pour s’en prémunir, l’apport d’eau peut sembler être une solution.

Pour autant, près de la moitié de l’eau douce prélevée en France est à usage agricole (6 % de la SAU était irriguée en 2010, majoritairement le maïs et les céréales) et ce principalement durant l’été. Alors que cette saison correspond à la période de plus faible niveau des cours d’eau (étiage), il ne parait pas réaliste de compter sur une irrigation d’une plus large partie des cultures. Par ailleurs, l’agriculture entrerait en compétition avec l’usage de l’eau douce dans la consommation domestique, qui serait évidemment privilégiée.

Une « main d’œuvre » gratuite bientôt en grève

Les services rendus par la biodiversité ont malheureusement une visibilité proportionnelle à leur coût. Partant du constat que cette « main d’œuvre » est gratuite (verre de terre, insectes pollinisateurs, bactéries, champignons, etc), il peut apparaitre normal que ce service passe sous les radars de l’œil financier.

Pour autant, un effondrement de ces populations risquerait d’avoir un impact économique lié à l’effort, payant cette fois, nécessaire à la compensation des effets qu’elles apportaient.

Comme le présente le graphique de l’IPBES ci-contre, la dépendance (en %) des principales cultures mondiales directement consommées par les êtres humains et commercialisées sur le marché mondial à l’égard de la pollinisation animale est relativement forte. Il serait optimiste de penser que la dégradation de cet écosystème n’aurait pas d’impact pour nous autres acheteurs.

: Dépendance (en %) à l’égard de la pollinisation animale des principales cultures mondiales directement consommées par les êtres humains et commercialisées sur le marché mondial

La dégradation d’un écosystème impactant vos achats

 

Selon le Pr Jérôme Casas, chercheur à l’IRBI, le déclin des pollinisateurs se poursuit à un rythme élevé. Si l’on regarde les espèces d’abeilles sauvages, les scientifiques observent une chute de 25 % de leur nombre en l’espace de 10 ans.

Alors que près de 35 % de la production mondiale de culture (principalement des fruits, légumineuses, graines et noix) dépendent à divers degrés de la pollinisation animale, il peut sembler stratégique pour les acheteurs de s’en préoccuper.

De plus, la biodiversité souterraine joue un rôle déterminant dans la fertilité naturelle des sols en facilitant la décomposition de la matière organique. Leur activité facilite également la perméabilité du sol et sa rétention de l’eau, service particulièrement utile dans un contexte d’asséchement à venir. Malheureusement, le dérèglement climatique associé à nos pratiques culturales (phytosanitaire, labour, etc) réduisent cette biodiversité. Une réduction de cette activité gratuite et naturelle pourra être compensée par l’apport d’intrants et l’irrigation, tous deux payants.

Baisse des rendements et hausses de prix, le début d’un cycle ou une tendance longue ?

 

Il est admis par la science que nos climats d’hier sont définitivement perdus. Celui de demain n’est pas encore certain mais il y a consensus pour dire qu’il s’agira de celui d’aujourd’hui majoré des effets du dérèglement climatique.

Même en suivant les trajectoires de décarbonation les plus ambitieuses, nous ferons face à une aggravation significative du changement climatique, dès à présent et au moins jusqu’à horizon 2050.

Malheureusement, la rapidité de ces changements de climat ne laissera pas le temps nécessaire à nos cultures pour s’adapter.

Graphique de l'indice des prix alimentaire de la FAO illustrant le lien entre achats et réchauffement climatique

Selon les scientifiques de l’université de Cornell (États-Unis), le changement climatique anthropique a déjà entrainé une chute de 21 % de la productivité agricole sur les 60 dernières années. Cette baisse est considérable alors que la température moyenne du globe n’a, elle, augmenté « que » de 1°C, bien loin des prévisions données pour les années à venir (entre 1,5°C et 6°C selon le scénario).

Selon le GIEC, une baisse de rendement des céréales de 10 à 25 % pourrait être atteint autour des années 2050, conséquence de nos émissions passées et actuelles. Au-delà, il faut s’attendre à une baisse de 3 à 10% du rendement céréalier par degré de réchauffement supplémentaire.

Comme nous l’avons vu, ce ne sont pas que les viandes, beurres, œufs ou céréales, mais bien un grand nombre d’industries qui seront impactées (cosmétique, packaging, pharmacie, etc).

Comment adapter nos achats au réchauffement climatique ?

 

Après avoir mis en lumière le lien étroit entre achat et réchauffement climatique, quelles que soient vos activités d’acheteurs, vous êtes fin-prêt pour anticiper dans vos organisations les changements à venir. Mais comment s’adapter à un tel bouleversement ? Quelle stratégie adopter ?

Nos consultants en achats peuvent vous accompagner pour identifier les nouveaux risques de votre chaine de valeur et déployer ces nouvelles stratégies. En attendant notre future rencontre, nous vous invitons à lire notre article « Quantifier : la clef de votre stratégie achat durable ».

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